Arrivée d'un diplomate bien particulier...

Ludmìlja Krkovà était une femme un peu particulière. Son mari, décédé il y a maintenant quelques années, était un ancien officier au service de Brisbourg, "reconverti", c'est-à-dire renvoyé sans autre forme de procès, après la Révolution de Dentelle, conduite par Notre Bien-Aimée Natacha Stravìskova. Depuis cette époque Ludmìlja vivait dans le petit appartement de la banlieue de Pjednè qui lui avait été attribué, à Fjerèncari, un quartier bien sombre où chômage et alcool étaient devenus les maître-mots. Qu'importe le gris des immeubles, du ciel et de la vie, Ludmìlja avait gardé dans un coin de sa tête cette époque chérie, où elle et son mari vivaient heureux,en profitant allègrement des autres certes, et un certain franc parler qui caractérisait les apparatchiks brisburniens.

Elle raccrocha son téléphone et tourna son regard béant vers cette voix qui parlait bien trop vite pour elle :

"Ohla doucement l'ami. Vous êtes venu voir un espèce de tacot nommé Natacha Straviskova et lui donner de l'argent pour avoir un jet privé dans le calbut c'est ça ?"

Pierre regarda fixement la femme à laquelle il parlait. L'espace d'un instant il pensa que c'était une blague... Mais finalement non... il la regarda surpris et lui lança, d'un ton agacé :

- Génial, je n'avais pas assez de l'autre abruti de cacao à moitié débile, il faut en plus que je tombe sur une sorte de... de... serpillière demeurée aux neurones aussi flappis que le faciès...

Lui lançant un regard noir, il répéta en allant le plus lentement possible :

- Je... suis... envoyé... par l'Empereur Zanta... pour nouer des liens... avec... Natacha Straviskova, la Chancellière d'Abalecon... VOTRE... Chancellière ! ET... il me faut... un jet privé... NEUF... pour remplacer... le vieux tacot... que vous voyez... LA-BAS !!! Compris ??????

Inutile de me parler comme un sverigeois !

Elle sort un gros tampon.

Voilà votre visa !

Elle en met partout.

Faites attention à vos doigts, c'est pas sec !

Pour la Chancellerie : appelez un taxi et rendez vous à Pjednè, vous serez reçu par Mme Lödykòva. La Chancelière ne reçoit pas la journée.

Pour votre jet privé : je ne vous conseille pas non plus nos avions, ils sont fabriqués par notre constructeur automobile. C'est dire...

Pour votre ami : il est tout pâle ! Vous auriez pu lui offrir un petit quelque chose à manger quand même, on dirait qu'il n'aime pas l'air du pays.

Amène une Golòvina, bière traditionnelle abaleconienne.

Payez lui une Golòvina !

- Et puis quoi encore ? Vous pensez quand même pas que je vais acheter votre vitriol ? Il n'a qu'à se l'acheter, il a de quoi le faire, il n'est pas gueux !

Pierre regarda le visa et dit, avec mépris :

- Vous pourriez faire votre boulot correctement ! Et évitez de vouloir saboter mon costume ! Je saurais m'en souvenir lorsque je rencontrerais la Chancellière ! Vous n'avez pas idée de ce qu'elle fera quand elle aura vent de votre lamentable façon d'accueillir les gens... et moi surtout...

Il prit une brochure touristique qui trainait là pour absorber l'encre qui coulait et la regarda non sans un air hautain :

- Mais je peux peut-être éviter de lui parler de ça, si vous faites preuve d'amabilité et de respect à notre égard. En somme, si vous nous offrez deux Golòvina (une pour chacun), je ferais en sorte d'oublier toute cette histoire. Profitez-en, je suis rarement aussi sympathique.

Elle le regarda avec un sourire faussement niais :

De toute façon, il sera taché votre costume, quand vous sortirez de son bureau, alors ça ne change pas grand chose !

Et puis on dit deux Golòvine ! Allez apprendre à décliner ailleurs, j'ai du monde derrière !

Suivannnnnnnnnnt !

Pierre n'en revenait pas. Autant de bêtise dans un corps de femme... enfin de femme, c'était vite dit... elle ressemblait davantage à un thon qu'autre chose. Il la pointa du doigt et lui dit :

- Vous l'aurez voulu... vous me paierez cet affront, sale morue.

Furieux, il se dirigea vers son pilote et lui plaqua le visa sur la chemise, la tâchant au passage :

- Tenez-moi ça ! Cette espèce de vieille teigne pimbèche malembouchée croit qu'elle peut me traiter comme de l'eau souillée, je vais lui apprendre la vie ! Allez magnez-vous prenez mes bagages nous avons un taxi à prendre !

- Je ne suis pas à vos ordres !

Pierre lui lança un regard assassin. Mais il devait reconnaître qu'il n'avait pas tort. Alors il rusa :

- Vous ignorez beaucoup de choses sur les blancs... si j'arrive en vous traitant comme un frère de sang, ce que vous êtes à mes yeux, personne ne daignera nous adresser la parole. Et Natacha Straviskova encore moins. Je ne vous insulte pas de gaieté de coeur, j'essaie de faire en sote que l'Empereur Zanta obtienne ce q'il veut.

En fait, c'était lui qui avait insisté pour venir en Abalecon... mais il jugea opportun de taire ce détail. Le pilote parut rassuré et prit ses bagages pour le suivre. Pierre hêla un taxi et ils montèrent tous deux dedans pour se rendre Pejdnè...